retour au journal du maquis

Chère Madame,

Vous avez parfaitement raison de vouloir donner vie au texte que votre père a rédigé tout au long de sa campagne dans la résistance Armée. Mais je crains de vous décevoir dans le commentaire que vous m'avez demandé car ni vous, ni moi, n'avons assez tenu compte du fait que j'étais moi-même un des responsables d'un maquis d'une obédience tout autre. De ce fait, malgré le grand respect que je porte à votre père, mon esprit critique est certainement entaché de subjectivité. Il y a une seule excuse, ma franchise.

Le journal de Vallier, tenu presque au jour le jour, est un modèle du genre. Ecrit dans un style concis, dépouillé de grandiloquence, fourmillant de détails pittoresques et de descriptions minutieuses, il montre la réalité de la vie quotidienne d'un maquis et relate l'odyssée incertaine et la longue “traque” pleine de dangers dont, seul, vraiment tout seul, Vallier a pu venir à bout pour amener sa troupe au combat libérateur. Dans son prologue, la rigueur de Vallier lui fait évoquer des erreurs de jugements. Or, au fil des pages, on voit comment lui-même remet en cause ceux qui lui semblent discutables. Et l'on ne peut relever que deux entorses à la vérité historique, deux points de détail d'ailleurs (l'attaque du maquis FTP le 22 juillet et la présence de la division espagnole Agul) qui ne lui sont absolument pas imputables; il ne témoigne pas lui même, il rapporte simplement les témoignages erronés de ses correspondants locaux qu'il croyait fiables.

En fait, ce mémoire respire la vérité et l'honnêteté. Et cela, parce qu'il est à l'image de Vallier et qu'il nous en dit beaucoup sur sa personnalité.

Après avoir combattu en 1940 sur le front italien des Alpes, Gleb Sivirine installé à Porquerolles, refusant le déshonneur de Montoire et de la collaboration avec l'ennemi, entre en résistance avec des membres du MUR (Mouvements Unis de Résistance) qu'il trouve dans son milieu et dans son entourage, comme Bellaguet, Picoche et d'autres.

Les échecs des armées allemandes en Afrique et en Russie, l'occupation totale de la France, puis la création du CNR permettent une autre forme de Résistance, d'où la création de maquis sur les arrières de l'ennemi (AS des MUR, FTP du Front National, ORA de l'armée, unis dans les FFI). Picoche devient le responsable des maquis MUR du Var. Connaissant les compétences de Sivirine (ex-lieutenant d'Artillerie) il lui confie le commandement d'un petit maquis A.S. de l'Est Varois créé par Dominique Luciani.

Sivirine devient Vallier et accepte sans discussion, ni hésitation, cette responsabilité. Il quitte son foyer et sa femme alors enceinte et plonge dans une clandestinité totale. Sa mission? Faire de ce groupe de jeunes une formation de combat, véritable unité militaire destinée à épauler les forces françaises et alliées lors du débarquement en France.

Et le récit de Vallier commence à son arrivée au maquis.

Certes il avait des renseignements, à coup sûr fragmentaires et contradictoires sur la formation de ce groupe et sur l'origine de ses membres. Il n'en fait pas mention car il a volontairement exclu de son récit toute historicité, se bornant à apporter son témoignage à lui: il note au jour le jour ses impressions, ses actions, ses sentiments (le présent grammatical utilisé le plus souvent l'atteste) et cela sans jamais y revenir ultérieurement. Ce qui est écrit est écrit, preuve d'une honnêteté foncière, très rare dans les témoignages.

Pénétré de sa responsabilité, il ne s'est pas trop préoccupé de la mentalité des individus qui composeraient son groupe mais s'est fié à ses intuitions pour choisir son encadrement. Là, ses préférences intellectuelles, sociales et morales ont joué un rôle manifeste.

Au premier plan de ses préoccupations: la discipline, l'obéissance à la hiérarchie, clef de voûte de la formation militaire.

C'était d'ailleurs le plus difficile car il avait affaire à des hommes, heureusement très jeunes pour la plupart, qui se prévalaient de leur volontariat et de leurs convictions: ils se voulaient combattants et non soldats, à l'instar des maquisards du camp Robert FTP voisin.

Aussi, il dût gagner leur confiance en étalant un bon sens évident pour tous, en imposant une justice rigoureuse et sans appel et, surtout en payant largement de sa personne dans les actions dangereuses. Il y parvint, aidé par son expérience militaire antérieure, sa formation scientifique et son souci d'organisation. Je suis convaincu qu'il préférait le combat direct à la guérilla, d'où sa méfiance à l'égard de toute action militaire spontanée et son jugement sévère sur le comportement des FTP les 7,8 et 12 juin à Aups. A l'instar des militaires de carrière, il n'aimait pas les francs-tireurs proprement dits, tout au moins jusqu'en juillet 44.

Mais s'il souscrit au rituel de l'ordinaire militaire, garde à vous, défilé impeccable devant les populations, il ne s'en dissimule pas le côté humoristique. Il n'oublie pas la finalité de son engagement et il sait que seule l'action paie. Ses écrits à partir de la fin juin et surtout en juillet témoignent d'une évolution, certes lentement progressive mais certaine. Il comprend que les responsables “civils” ne se rendent pas compte des épreuves douloureuses qu'il traverse avec ses hommes. D'ailleurs, l'intendance ne suit pas, tant pour le ravitaillement en armes et munitions qu'en vivres, ce qui est impensable pour un militaire. Les ordres contradictoires et multiples qui lui parviennent lui font douter de la cohérence, non de ses chefs directs, comme Picoche, mais de l'Etat-major qu'il pressent, à juste titre, être le théâtre de rivalités et d'ambitions personnelles. Mais surtout, il sent que ses hommes qui avaient gagné le Maquis pour se battre et dont il avait fait des soldats prêts à le faire, sont déçus par l'inaction et las de l'attente. Cette attente du débarquement tant espérée, et qui ne vient jamais, c'est presque un leitmotiv dans les écrits de Vallier.

Il est permis de penser qu'en lui même, sans remettre en cause l'exigence de sa mission, une sorte de perplexité, d'interrogations sur l'utilité et l'efficacité de son rôle, se profile dans ses certitudes du début.``D'ailleurs, de son propre chef, il entreprend quelques actions (patrouilles ou coups de main) à objectif limité et avec des compagnons triés sur le volet, car évidemment dangereuses. Au retour d'une de ces missions, il retrouve son Maquis en plein désarroi et démoralisé par des alertes fausses.

En outre, son chef MUR de Draguignan, Lenoir, harangue les hommes d'une façon tellement maladroite que plusieurs d'entre eux manifestent le désir de rallier le Maquis FTP voisin.

Là, en vertu de son esprit démocratique et de son tempérament chevaleresque, Vallier crée une situation extraordinaire et inédite pour une formation militaire: il invite le chef FTP Dominique (commissaire aux effectifs et non du peuple) à expliquer devant ses hommes sa conception de la guérilla et à amener avec lui ceux qui le désireraient. Lui-même ne dit pas un mot, pour ne pas influencer leur choix. A l'issue de cette rencontre, une quinzaine de ses hommes choisirent de rejoindre le camp FTP. Il en éprouva, bien entendu, une certaine amertume et il les qualifia de mauvais éléments, à l'exception de 2 ou 3 communistes dont il connaissait les convictions.

Plus tard, il notera, avec une satisfaction dissimulée, que le CE FTP lui avait confié que ces transfuges comptaient dans les meilleurs éléments de son Maquis.

Autre exemple de l'esprit civique, républicain et démocrate de Vallier; lorque peu avant la libération, un commandant désigné par la hiérarchie pour l'aider, manœuvre pour l'évincer de la direction du camp, il fait voter les maquisards qui le soutiennent à la quasi unanimité (il faut remonter à la 1ère République pour retrouver un tel procédé dans une armée).

Il n'empêche qu'à partir du 20 juillet et jusqu'à la fin, Vallier prit, sous sa responsabilité, l'accomplissement de certaines missions. Et surtout, il plongea dans une guérilla de mouvement, se montrant un peu partout dans le haut Var et disparaissant aussitôt. C'est alors qu'il déploya toute sa capacité à déjouer les embûches, son talent de stratège pour organiser ses déplacements incessants, n'étant jamais là où on le croyait tout en couvrant et protégeant tous ses hommes. Les ennemis voyaient des maquisards partout et ne les attrapaient jamais. N'était-ce pas le but de la guérilla? Empêcher l'envoi d'ennemis sur les fronts de Normandie et d'Italie, et miner le moral des occupants en créant l'insécurité pour eux.

Informé le 9 août de l'imminence du débarquement, il emmène sa troupe, en bon ordre, malgré des marches nocturnes exténuantes et dangereuses sur le littoral Hyérois où il accueillera, le 15 août, les Américains et, peu après, les FFL débarqués. la suite est connue: son maquis, rejoint par les FTP menés par Etienne et devenus ses alliés à part entière, eut la charge de nettoyer la presqu'île de Giens. Vallier avec une grande partie de ses hommes s'engagea dans les FFL et poursuivit la lutte jusqu'à la victoire.

Il avait pleinement rempli sa difficile mission: transformer un groupe de résistants en une unité militaire prête au combat et l'amener entière après six mois d'une traque meurtrière et incessante à participer à la Libération.

Il pouvait en être fier! Tous ses hommes étaient fiers de lui et lui portaient un respect affectueux que les survivants continuent aujourd'hui à exprimer. C'est d'ailleurs à eux que Vallier à dédié son témoignage.

Et, vous avez parfaitement raison de vouloir le rendre public: contemporain et vécu, il mérite de tenir une place éminente dans la mémoire transmise à travers les générations car il contient sa part d'histoire et de pédagogie.

Je comprends combien ce commentaire critique doit vous paraître oiseux par ses digressions inutiles et éloignées de votre objectif. Certes, j'ai fait certainement des erreurs de jugement moi aussi et émis des spéculations hasardeuses sur la façon de penser de Vallier (il est difficile d'interpréter la personne à partir de ses écrits). Si je ne peux souscrire sans rien y reprendre à sa relation de la vie quotidienne du Maquis et à ses aléas pour l'avoir vécue moi-même, j'ai été vraiment fasciné par la personnalité de votre père. Oui, c'était un grand résistant. Mais surtout, il avait toutes les qualités qui font les hommes d'exception.

Je vous prie d'agréer, chère Madame, l'expression de mes hommages respectueux et dévoués, et de bien vouloir assurer votre époux de mes sentiments les plus courtois.

signature

Docteur Paul Raybaud, un des responsables du Camp Robert, maquis FTP de la région d'Aups

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