retour au journal du maquis

Verdon,
autona 2001, p. 33−45.
numéro 6


Le Maquis Vallier,
10 mois de résistance dans le haut-Var


Une place du village des Salles porte depuis peu le nom de Gleb Sivirine. On peut lire sur la plaque qui s'y trouve : " 1911-1990. Il fut le lieutenant Vallier, commandant le maquis AS du Var. Hommage des MUR (Mouvement unis de la Résistance) au village des Salles ilôt de la Résistance Varoise". L'attribution de ce nom montre que l'oubli n'a pas tout recouvert et que le maquis Vallier reste présent dans la mémoire collective. Mais combien savent encore de quoi il s'agit ?

La création du maquis AS du Var (novembre 1943-février 1944)

La zone du Haut-Var qui correspond au Plan-de-Canjuers et à ses alentours a été la principale zone de maquis du département et l'une des principales de la région, prolongeant les Basses-Alpes qui en constituaient une sorte de bastion. C'est à partir du moment où les réquisitions de main-d'œuvre pour l'Allemagne ont menacé les jeunes hommes, en 1943, que ces plateaux et ces montagnes, relativement isolés, sont devenus des zones refuges. Fermes et chantiers forestiers ont d'abord servi de points de chute aux filières diverses, parfois spontanées, parfois organisées, qui aidaient ceux que l'on appelait les réfractaires au travail obligatoire. Mais, au départ, au premier semestre de 1943, les réfractaires varois partaient plutôt vers le Vaucluse, la Drôme et l'ensemble du massif alpin, jusqu'en Savoie. Ce n'est pas avant l'automne 1943 que s'installent des camps de maquisards dans le secteur. Il a fallu au préalable constituer toute une organisation spécifique. Il a fallu aussi que l'occupant allemand, peu satisfait de l'action des forces vichystes, se mette à pourchasser les réfractaires et maquisards cachés le long de la côte et dans le massif des Maures, ce qu'il commence à faire de façon systématique à partir de novembre.
C'est dans ce contexte que naît ce qui allait devenir le maquis Vallier. Il est le maquis de la principale organisation de Résistance du Var (et de zone Sud), à savoir l'ensemble constitué par les Mouvements unis de la Résistance (MUR) et leur branche "militaire", l'Armée secrète (AS). Il est pris en charge par le service que les MUR ont spécialement constitué à cet effet, le Service maquis dont le responsable départemental est Louis Picoche, le "patron" d'une entreprise hyéroise de transport, les cars GABY, qui va servir de couverture et d'outil à cette mise en place. En effet, ses exploitations forestières, indispensables pour alimenter les gazogènes dont sont équipés les véhicules, permettent de justifier embauches, déplacements, etc.. Ses camions et ses voitures serviront au transport du ravitaillement et des hommes. Le maquis Vallier n'est donc pas autonome. Il est un maillon, important, d'une organisation varoise et nationale. Il est contrôlé par toute une hiérarchie de responsables (parmi lesquels, outre Picoche, Édouard Soldani Valmy, l'un des chefs des MUR de l'arrondissement, chargé du service maquis et le capitaine Fontès Kléber, chef AS de l'arrondissement de Draguignan, etc.), il est ravitaillé par un intendant de la Résistance (Auguste Marquis Leduc de Toulon, puis Jean Blanc Lenoir de Draguignan), il est tenu d'obéir aux instructions de l'organisation qui, elle-même, participe d'une stratégie d'ensemble, celle de Londres. Élément d'une "armée" clandestine, ce maquis se veut donc de type militaire dans son état d'esprit et son fonctionnement. Si j'insiste là-dessus en commençant, c'est pour bien montrer que l'on est assez loin de l'image positive ou négative d'une bande de hors-la-loi armés.
Ceci dit, il ne faut pas surévaluer la solidité de l'organisation. L'ensemble est fragile, il manque d'argent, d'armes et de moyens, et il faut bien mesurer la difficulté - que l'on a peine à imaginer aujourd'hui - qu'il y a à monter une telle affaire et qui nécessite une somme de complicités de tous ordres. Sans oublier le risque pris ....
Le nom du maquis vient du pseudonyme de son chef, le chef militaire que l'organisation, sur la proposition de Picoche, a nommé à sa tête. Mais cette nomination n'intervient qu'après plusieurs semaines d'existence du camp et quelques problèmes. Ce maquis départemental de l'AS commence en effet son existence en novembre 1943 avec une poignée d'hommes, volontaires pour participer à des combats futurs. Ses débuts sont mal connus. Le premier camp est installé avec l'aide de l'AS du canton de Fayence entre Callian et Mons, à Farigoule, puis aux Louquiers, au nord-est de Mons, mais il existe à Aups un camp de filtrage pour les recrues (camouflé sans doute par un chantier forestier). On ne monte pas au maquis si aisément. En effet, les volontaires venus du bas pays passent généralement, à ce moment-là, par le café de France au Muy. C'est là qu'ils sont pris en charge et convoyés jusqu'à un cabanon isolé de la commune de Figanières où ils sont "vérifiés" selon un rituel qui n'est pas sans rapport avec celui des sociétés secrètes du XIXe siècle : les choses se passent en grande partie de nuit, le candidat doit connaître le mot de passe ("Le Cardinal ? - Il est rouge"), il est enfermé dans le cabanon, puis questionné, mis en garde, et enfin conduit par les véhicules GABY au camp de filtrage (ou, selon les époques, au maquis lui-même). Lorsque Vallier arrive, le 23 février 1944, il y a 18 hommes au camp sous la responsabilité de Dominique Luciani, qui sera son adjoint. Luciani est un Dracénois, d'origine corse, un "dur", âgé (il a 45 ans !), il a été interné par les Italiens, puis arrêté par les gendarmes en novembre et libéré grâce à la Résistance. Le groupe est assez divers, composé surtout de jeunes ouvriers de Toulon, La Seyne, Hyères et de quelques "étrangers" (de Lyon ou de Paris). Ce groupe va régulièrement s'étoffer jusqu'à l'été. Il atteint la trentaine d'hommes fin mars et plus de quarante au début juin, il dépasse la centaine dans l'été 1944. Inutile d'insister pour faire comprendre que le problème n°1, dans une période où tout manque, celui qui occupe donc une grande partie du temps et de l'énergie, c'est le ravitaillement. Pourtant, le maquis bénéficie d'appuis enviables, à commencer par celui que la société de Picoche peut apporter en assurant couverture, liaisons, transport, participation financière au ravitaillement. Grâce à l'abbé Deschamps, de La Crau, et au docteur Lagier, de Toulon, qui s'occupent du Secours national et peuvent procurer des vivres avec la complicité de son directeur, grâce au grossiste toulonnais Augier (qui sera arrêté quelques jours), grâce au réseau étendu que l'organisation possède, la situation matérielle des hommes est mieux assurée que dans beaucoup d'autres maquis, ceux des FTP en particulier.
Pourtant, les débuts sont difficiles. Il y a surtout une crise d'autorité. Les recrues rassemblées au camp de filtrage, chez Maunier à Aups, posent problème en se soumettant difficilement à la discipline. Le chef de camp se heurte violemment avec Picoche et les responsables départementaux venus remettre de l'ordre. Les contacts trop étroits qui ont été noués avec les résistants du village inquiètent dans la mesure où ils court-circuitent la hiérarchie et font enfreindre ses ordres. Aussi ce camp est-il dissous et transporté au camp principal à Mons. Là, des problèmes identiques de rapports avec les résistants locaux se posent encore.


Vallier, préparation et attente (février-mai 1944)

Dès avant que les hommes d'Aups n'arrivent, Picoche a désigné un nouveau chef pour reprendre en main les maquisards qui se trouvent aux Louquiers. Celui-ci, Gleb Sivirine Vallier, est un ingénieur qui travaillait à Marseille aux Aciéries du Nord, avant d'être employé à Porquerolles au préventorium. Lieutenant d'artillerie de réserve, ayant combattu en 39-40, cet homme modeste (qui, non seulement ne cherchera jamais à se mettre en avant après guerre, mais souhaitera même rester anonyme) règle avec fermeté et compréhension les problèmes de discipline interne. À partir de son arrivée, la vie au maquis est bien connue grâce au journal qu'il tient le plus régulièrement possible.
À peine installé, il instaure des habitudes et un entraînement de type militaire classique avec salut aux couleurs, rapports, "ordre serré", marches, sport, entraînement au combat. L'objectif qui lui a été assigné est de construire une troupe en état de se battre au "jour J". Ce n'est pas facile à atteindre, car le maquis grossit rapidement. Il est hétérogène avec des "vieux" de 30 ans et des "jeunes" qui cohabitent mal, des hommes des villes du littoral et d'autres venus de plus loin, quelques intellectuels et de nombreux prolétaires. Des problèmes de cohabitation se posent. La tâche est d'autant plus ardue que le ravitaillement ou le tabac n'arrivent pas régulièrement. Heureusement certaines fermes et certains bergers sont accueillants. Mais les risques de repérage et les raids allemands contraignent à des déplacements nombreux, en grande partie à pied : huit au total entre février et mai 1944 qui mènent les hommes des Louquiers aux Margets, au sud d'Aiguines, puis à La Blanche, avec des replis aux Grottes et à La Chapelle de Baudinard en mai, à la suite de mises en alerte.
Aux difficultés de la vie quotidienne, s'ajoutent des problèmes tactiques. Les chefs de l'AS refusent d'équiper le maquis en armes pour éviter toute "bavure". Ils craignent qu'il entreprenne des actions sans autorisation. L'absence d'armes a eu sa part de responsabilité dans le différend qui les a opposés au groupe d'Aups. Vallier est parvenu à récupérer à leur insu deux mausers et trois mitraillettes pour assurer la garde et un minimum d'entraînement. Il perçoit cependant des armes le 13 mars dans la perspective d'un débarquement que l'on croit devoir être proche.
Il n'est pas simple de "tenir" les hommes en l'absence d'objectifs concrets, dans l'inaction et avec un équipement insuffisant, un ravitaillement aléatoire et le risque d'être pris "pour rien". Il y a quelques larcins, l'un de ses hommes est tué au cours d'un entraînement. En mai, le découragement guette le groupe et son chef. Vallier souffre particulièrement de la (relative) prolifération des responsables qui entendent lui donner des ordres. Ceux-ci, à part Picoche, paraissent mal mesurer la difficulté de ce qu'on lui demande de faire et qu'il a conscience de réussir en dépit de tout. L'inspecteur du maquis - Soldani - qui entend lui donner des leçons et l'intendant qui veut des états de matériel l'irritent. Cette tutelle qu'il juge pesante contribue au découragement avec l'attente exaspérante du moment d'entrer en action. Trop de chefs, trop d'ordres contradictoires, trop d'incompréhension, trop de promesses non tenues. Se rendant mal compte des problèmes que les responsables "civils" peuvent rencontrer et de la surcharge de tâches qu'ils assument en prenant des risques, à ce moment-là, plus grands que les maquisards, il en vient, dans son journal, à la date du 17 avril, à évoquer "l'incompréhension absolue entre les deux groupes, nous et ceux des villes". Divergence classique, que toutes les guerres, même révolutionnaires, connaissent entre les "civils" et les "militaires", les hors-la-loi qui battent la campagne et les chefs politiques. Le débarquement arrive à temps pour dissiper les tensions et poser d'autres problèmes...

Dans la tourmente de juin 1944

Le maquis apprend le débarquement de Normandie par son contact d'Artignosc le 8 juin seulement. Il faut monter au Petit Plan de Canjuers pour attendre des parachutages. Les hommes font à pied, de nuit, le trajet. Le PC est installé à la ferme de La Médecine. Devenu maquis "mobilisateur", prenant le nom de 1er GRAV (Groupement de résistance armée du Var), Vallier est rejoint par de nouveaux éléments, en particulier par deux gendarmes résistants d'Aups et par une équipe sanitaire, venue de Draguignan (le Dr Angelin German et un infirmier).
Mais, le 7 juin, les FTP du camp Robert et les résistants sédentaires de la commune, toutes tendances confondues, ont "occupé" Aups. Ils ont arrêté quelques "collaborateurs", abattu un motard allemand et repoussé un convoi allemand monté de Draguignan dans la soirée en tuant trois de ses hommes. Vallier désapprouve cette action dont il craint les conséquences pour son maquis, surtout lorsque, par deux fois, plusieurs dizaines d'Aupsois viennent le rejoindre pour échapper aux représailles auxquelles la population s'attend. Il perd d'ailleurs trois de ses hommes le 12 juin. Partis en corvée de ravitaillement à Moissac, ils sont pris par la Milice à l'entrée du village, car, ce jour-là, les miliciens du Var, rassemblés à Draguignan depuis peu, et ceux de Marseille occupent la localité en représailles de ce qui s'est passé le 7, le préfet et le chef départemental de la Milice ayant obtenu des Allemands (qui ne s'en plaignent pas) de faire ce "sale boulot" eux-mêmes. L'un des maquisards est gardé prisonnier, les deux autres, le Hyérois Ernest Millet, l'un des chauffeurs résistants de Picoche, et le gendarme François Duchatel, sont fusillés immédiatement à la "Villa rose". Une arme a été trouvée dans leur camionnette. L'attitude de Millet et Duchatel est digne. Les miliciens ont inscrit sur une pancarte "Traîtres à la patrie ".
Vallier n'a pas reçu de consigne d'action immédiate et ne peut donc entreprendre la guérilla. Les parachutages espérés n'ont pas lieu. Mais il a hérité de quatre "collabos", arrêtés le 7 par les FTP. Si les deux hommes sont relâchés au bout de quelques jours, les deux femmes, qui émargeaient au SD (la "Gestapo") de Draguignan, doivent être fusillées, après une tentative de fuite, le 22 juin. Quelques jours après, le 29 juin, Vallier demande à nouveau à ses chefs l'autorisation d'agir. Les opérations se sont limitées, jusque-là, à quelques "récupérations", bien nécessaires dans la mesure où le ravitaillement qui lui arrive de l'extérieur est insuffisant, et des missions sur Draguignan, dont une pour tenter d'abattre des "gestapistes". Un temps fort cependant, le 2 juillet : Vallier organise une cérémonie à la mémoire des morts du 12 juin dans les villages d'Aiguines et des Salles où ses hommes défilent. La population est impressionnée. Vallier représente pour elle l'autorité légitime. Ses véhicules, qui proviennent en général de réquisitions (un camion qui travaillait pour la Milice en particulier), sillonnent le secteur, ils sont reconnus et salués, ce dont Sivirine s'amuse. Le pouvoir a changé de main. Certains intrigants viennent le solliciter. Il n'est pas dupe, par exemple des manœuvres de Font d'Eilenc d'Aiguines pour devenir le chef du village à la Libération.
Cependant, ce n'est pas l'euphorie. Des problèmes de discipline se posent, parfois graves. Le 17 juin, trois de ses hommes ont mis à sac une ferme voisine, volé de l'argent et l'un d'eux a violé la domestique de ferme. Il a fallu les mettre sous bonne garde en attente d'un jugement qui se fera en présence des chefs "civils". Condamnés à mort, les trois délinquants n'échapperont à l'exécution que parce que l'heure est désormais au combat, qu'il faut échapper à l'occupant et qu'ils se réhabilitent. Le combat est défensif car les Allemands entendent "nettoyer" leurs arrières avant que le débarquement en Méditerranée n'ait lieu.

Le maquis pourchassé

Les semaines qui s'écoulent entre juin et août sont éprouvantes, parfois angoissantes. Comme avant le 6 juin, il faut résoudre les nombreux problèmes que pose la survie du maquis, grossi de nouvelles recrues, en particulier des hommes du chantier forestier du Pelenq. Parmi les nouveaux, une résistante de Fréjus ou bien encore Guy Barel, le fils de l'ancien député communiste de Nice. Les effectifs se montent à soixante-dix hommes qu'il n'est pas simple de nourrir dans une contrée aride, brûlée par le soleil de l'été et peu peuplée. La tension est sans commune mesure avec ce qu'elle était avant le 6 juin. La menace que les Allemands font peser et les raids qu'ils entreprennent sur le Plan-de-Canjuers à diverses reprises contraignent le maquis à d'incessants déplacements : Bondil (Baudinard), La Blanche, Saint-Jean-de-la-Tour, au nord de Moissac, La Roquette, enfin le bois de Malassoque à la fin juillet.
Le 22 juillet est un jour funeste pour le secteur, le jour de l'attaque allemande la plus meurtrière. Elle vise le camp FTP, mais il y a des victimes partout. Au petit matin, de retour d'expédition, la voiture du camp Vallier est "tombée" sur les troupes d'occupation à l'entrée sud d'Aups. Vallier perd son chef adjoint Luciani et André Chaudé, un réfractaire de Cannes. Un autre maquisard, Yo, est grièvement blessé, mais il est sauvé par des Aupsois et par les FTP. Tandis que les deux autres occupants de la voiture peuvent s'échapper, la jeune Rosette Cioffi, qui aide les FTP, et un chauffeur de La Seyne sont également tués. Ce ne sont pas les seuls tués de la journée.
L'inaction pèse d'autant plus que les FTP du camp Robert servent d'aiguillons. Enfin autorisé, mais timidement, à entreprendre quelques opérations, Vallier organise des embuscades (en vain), des patrouilles et un raid à Comps, le 12 juillet, histoire de réquisitionner du tabac et d'effrayer les deux miliciens qui y résident. Le 23 juillet, l'un des groupes participe à une évasion collective de la prison de Draguignan. Mais la fronde qui couve parmi ses hommes n'est pas désamorcée pour autant. Elle est suscitée par les communistes ou sympathisants que le hasard des filières a menés chez Vallier, auxquels se joignent ceux qui veulent participer d'une autre façon au combat. Les FTP du camp Robert leur proposent de venir les rejoindre, conformément aux consignes générales qu'ils ont reçues. Vallier et sa hiérarchie acceptent. La scission du maquis Vallier est accomplie le 18 juillet. Ce jour-là, en présence des chefs CFL (le nouveau sigle de l'AS) de l'arrondissement, venus tout exprès, une quinzaine d'hommes confirment leur volonté de passer aux FTP.Vallier, estime que l'intervention du chef FFI adjoint, très maladroite, est partiellement responsable de l'ampleur des défections. C'est, pour lui, un nouveau grief contre les chefs, ceux de la ville, qui le laissent se débrouiller pour assurer la subsistance et qui lui envoient des ordres contradictoires :
"Premier ordre : guerillas partout, puis aussitôt après : plus aucune action permise, ordre direct de Koenig, suivi d'une circulaire portant intensification de l'action des guerillas, en attendant le débarquement. Et il y a deux ou trois jours, ordre à la radio d'agir en Bretagne, mais de ne pas bouger dans le reste de la France. Alors ?..."
Du moins Vallier a-t-il la satisfaction de jouer un rôle militaire, "même sans combattre directement" en attirant les troupes adverses. Il le constate lors de l'importante offensive menée vainement au début août : "de concert avec les F.T.P., nous immobilisons un effectif de troupes boches, d'au moins 1 000 à 1 200 hommes et tout un matériel moderne puisqu'ils ont attaqué CANJUERS au canon, voitures blindées et avec un avion". Son autre satisfaction est d'avoir réussi à garder le contrôle d'une "force en potentiel... qui se manifestera le jour du débarquement".

La Libération : de Malassoque à Giens et de Giens au Rhin

Vallier est prévenu de l'imminence des opérations alors qu'il a décroché des environs d'Aups, où les occupants reviennent régulièrement, et s'est installé plus à l'ouest, près du Verdon. Il a fini par toucher un parachutage et a noué des contacts cordiaux avec la 18e compagnie des FTP des Alpes-de-Haute-Provence. Avec l'accord de Picoche, ils ont même envisagé une action commune sur Moustiers. Mais les Allemands attaquent à nouveau et, à Sainte-Croix-du-Verdon, le 11 août, les FTP sont sérieusement pris à partie, perdant plus d'une dizaine d'hommes dans l'affaire. L'ordre de descendre vers la côte, où le débarquement doit avoir lieu arrive à ce moment-là. Le maquis est au Puits-de-Campagne, non loin de Brue-Auriac. Il faut traverser, à pied, tout le département.
Le trajet s'effectuera sans encombre, en partie de nuit, mais, le 9 août, le maquis a failli se scinder à nouveau, à cause d'un conflit d'autorité qui oppose Vallier et un commandant, jusque-là chef FFI du secteur d'Hyères, qui lui a été imposé comme adjoint et qui se prévaut de ses galons.Vallier, soutenu par le gros des maquisards, parvient à s'imposer.
De la région de Flassans où il stationne alors, le maquis gagne les Maures, passe par Les Mayons pour se retrouver près de Collobrières, à pied d'œuvre pour aider les troupes débarquées. Il a effectué 110 km à pied en quatre jours.
Le 15 août, Vallier descend sur Collobrières et aide la résistance locale, à majorité FTP, en attendant les troupes qui viennent de débarquer. L'avant-garde américaine arrive vers 17 h. Le lendemain, soldats et résistants attaquent ensemble le poste radar qui se trouve sur le plateau de Lambert au-dessus du village. Vallier et ses hommes - 65 - plus une vingtaine de volontaires de Collobrières dirigés par l'instituteur Etienne accompagnent les troupes françaises qui ont relayé les Américains et dont l'objectif est la prise de Toulon. Tandis que les hommes de la 1e Division française libre (DFL) se battent à Hyères, les 21 et 22 août, les maquisards ont en charge le contrôle de la presqu'île de Giens. Ils parviennent à réduire seuls la batterie de La Badine, principal objectif (où les 154 hommes de la garnison se constituent prisonniers), et remettent aux troupes sénégalaises qui les relaient un territoire "nettoyé".
Vallier et ses hommes s'engagent alors dans la 1e DFL, l'unité gaulliste, l'unité résistante par excellence de l'armée de Lattre de Tassigny, avec laquelle ils vont poursuivre la lutte jusqu'en Allemagne.

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Sur le monument d'Aups à la première "Résistance", celle de 1851, ont été ajoutés les noms des morts de la deuxième, celle de 1944. Filiation logique. Les hommes de Vallier y sont, comme ceux des FTP, comme les victimes civiles, le gendarme fusillé comme le révolutionnaire exécuté.




Jean-Marie Guillon


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