retour au journal du maquis

Souvenirs de Tony Mariani, évoqués avec Dine Le Roux (veuve de Roger Le Roux) et Claude Sivirine


DINE:  Tony, vous êtes parti quand?

TONY:  Nous sommes partis, Roger1 et moi, du stade Raoul Brulat le 8 février 1944; selon les ordres reçus j’ai quitté mon emploi à l’Office des Combattants de Draguignan le 12 février.

DINE:  Moi j’ai un papier signé par Vallier daté du 16 février.

TONY:  Moi j’ai une attestation de Vallier datée du 22 février; c’est le jour où nous sommes arrivés à Aups. Mais l’autorité militaire de la 9ème région (Marseille) m’a délivré le 22 octobre 1951 le certificat d’appartenance aux FFI - CFL du Var (Maquis Vallier) du 14/2 au 22/8 1944 signé du Général Raynal, Commandant de la 9ème région, seule pièce authentique figurant dans le dossier me concernant.

CLAUDE:  L’entrée au maquis c’est où?

TONY:  Au début, en février 1944, c’était au quartier de la Cabre d’Or à Figanières2; ceux qui arrivaient par le train des Pignes s’arrêtaient à la halte de Figanières.
Roger et moi avons été pris en charge par MM. Blanc dit Lenoir (contrôle économique) et Soldani dit Valmy, répétiteur au collège de Draguignan. Le camp de réception était dirigé par un nommé Marcel qui tous les matins faisait hisser les couleurs, un drapeau bleu, blanc, rouge de belles dimensions en pleine zone occupée: c’était discret. J’ai dit à Roger: «nous allons être repérés, moi je ne reste pas là».
L’armement était constitué d’une mitraillette STEN, d’un colt 11 - 45 et d’une bombe Gammont3 de 3 à 400 grammes qui trônait sur le rebord de la cheminée du cabanon qui abritait les réfractaires. Un soir René Barbezat, le parisien, s’est aperçu en entrant que le bouchon de l’engin était dévissé; si la bombe était tombée, il n’y aurait pas eu de suite à cette histoire. De nombreuses personnes savaient que nous étions là, aussi un matin Picoche est arrivé et nous a dit: « On va à Aups, tout le monde sous la bâche du camion; les gens armés se tiennent prêts à tirer en cas de besoin». Si le véhicule avait été intercepté sur le parcours il n’y aurait eu aucun survivant. Picoche nous demande à Roger et à moi si nous connaissons l’individu qui se trouve sur une photo qu’il nous présente. C’est un Dracénois que nous connaissons depuis toujours. Il nous fait savoir que celui ci aurait été capturé par les Allemands et retourné pour servir chez eux. C’est le curé de Bargemon qui l’indique (il convient de préciser que Jean Aloïsi, curé de Bargemon, a été déporté). Picoche nous demande d’abattre la personne en question s’il se présente au maquis.
Le trajet s’est effectué par Châteaudouble, Vérignon et La Bigue au dessus d’Aups. Nous nous sommes installés dans une bastide. La cheminée de la construction a été transformée en poste d’observation et de défense le cas échéant. J’étais en terrain connu car je venais chasser dans ce quartier avec mes amis aupsois.

DINE:  Ce n’était pas le maquis Vallier.

TONY:  C’était l’anti-chambre. Nous n’étions pas encore à Fayence, mais nous étions sous l’autorité du Lieutenant. Un jour arrivent Marquis (Leduc) de la caisse d’épargne de Toulon et Ernest Millet qui sera tué à Aups en juin 1944. Ils viennent nous chercher, Roger et moi, pour aller à Fayence. Enfin nous allons voir ce fameux Maquis. C’était le 22 ou 23 février. Dès l’abord nous avons une bonne impression: il y a des guetteurs et des hommes en armes pour la défense du camp.
J’aperçois Dominique Luciani; je descends et franchis le gué «Oh, le fils de Charles; viens ici compatriote! Alors bon, est-ce que tu viens à la pêche?» «Non, je viens au Maquis Vallier, plaisantin!» Tout est bien organisé mais le maquis est dans un trou. Si nous sommes encerclés, nous aurons de sérieuses pertes.

DINE:  Là vous êtes passés sur un petit pont pour aller à la ferme.

TONY:  Oui.

DINE:  Vous êtes arrivés par la route de Mons, pas par la route de Fayence, c’est là qu’il y a le petit pont. Vallier avait baptisé ça Farigoule. Moi je dis Farigoule, c’est le thym en Provençal. Alors, il a marqué Farigoule. Bien des années plus tard, quand j’y suis allée avec Roger et les petits enfants, j’ai vu un étendard dans la maison et il y avait marqué «vallée de Frigoule».

TONY:  Sur la carte de l’IGN au 1/20 000ème figure le nom de Frigouré, c’est à dire à un endroit froid.

CLAUDE:  Quand vous êtes arrivés au Maquis, vous avez vu Dominique.

TONY:  Oui, et immédiatement le lieutenant qui nous a dit: “je vous attends pour une conversation personnelle”.

CLAUDE:  Quel effet vous a t’il fait ?

TONY:  Sympathique, jeune.

CLAUDE:  Il n’était pas si jeune que ça, il avait 10 ans de plus que vous.

TONY:  Oui; il m’avait dit qu’il était assez âgé, qu’il se trouvait âgé; je lui dis “moi je trouve que vous gambadez bien.”
A Frigouré il m’est arrivé une salle histoire en travaillant dans les ronciers. J’avais été piqué par une ronce à un doigt de la main droite. Pendant trois semaines ça a mûri; j’avais une poche de pus sous le bras droit et je souffrais. Vallier m’a dit: “je dois me rendre à Fayence, vous viendrez avec moi. Je pars voir mon épouse; au retour je vous ramènerai. Un docteur, Monsieur Tallent de Fayence, vous opérera. Son frère est pharmacien au village. Guichard le garde-canal vous prendra en charge; pour l’instant il vous emmène chez lui et vous mènera le moment venu chez le responsable des parachutages. L’opération aura lieu à son domicile”.

Le lendemain de très bonne heure, Guichard me mène chez la personne désignée ci-avant. Sur la table il y a des bistouris et toute la pharmacie. Le docteur me dit
“ – je n’ai pas d’anesthésique!
– tant pis
– tu as un mouchoir? Mets-le dans ta bouche.”
Je dis “ oh là là, ça commence à sentir mauvais! ” Avec le couteau bistouri il m’a enlevé tout ce qui était mauvais et fait couler le pus. Ensuite, il a désinfecté la plaie et m’a dit“Je n’ai rien d’autre que ça.” Quand il mettait son produit, je faisais la valse. Il ajoute “ce soir il faut que tu manges léger, je vais donner les ordres à l’épouse du responsable: une petite soupe et rien d’autre”. Le soir arrive, le responsable s’apprête à partir car il y a un parachutage de prévu. L’épouse me sert alors une soupe paysanne avec du porc dedans et une omelette à assommer un bœuf. Je vais me coucher, mais toute la nuit j’ai eu la fièvre et j’ai déliré. J’entendais l’avion qui passait une première fois sur le terrain et au retour larguait son chargement. Le lendemain matin, les gens qui m’abritaient me disent “nous vous laissons seul aujourd’hui; si quelqu’un vient frapper à la porte, regardez par le mouchard mais n’ouvrez pas”. Dans la matinée, la sonnette s’agite; je regarde et je vois trois messieurs qui patientent; je prends l’arme qui m’a été confiée et j’ouvre lentement la porte. Ils entrent et sont étonnés de ne pas voir les gens qu’ils connaissent. Je m’étais tenu derrière la porte que je repousse doucement et leur dis en les braquant: “veuillez lever les bras, moi je ne vous connais pas et j’ai reçu des ordres”. A cet instant j’entends la porte du rez-de-chaussée qui s’ouvre et le patron arrive. Ça s’arrange immédiatement. Les visiteurs se présentent à moi: Monsieur X, je ne me rappelle plus, le second c’est l’ingénieur subdivisionnaire des Ponts et Chaussées de Fayence, monsieur Hugues, qui prête le véhicule du service pour le transport des armes parachutées, le troisième c’est un Tallent comme celui qui m’a opéré. Nous en sommes là quand Vallier arrive. Il salue les présents et me dit: “vous êtes prêt? –A vos ordres!”. Je souligne que le Lieutenant nous a toujours dit «vous».

Nous partons et dès qu’on est éloigné du village je lui dis “je vais vous raconter tout ce qui s’est passé” ; je lui explique complètement toute l’histoire. Il me dit “vous avez bien fait de me dire tout ça. A faire évacuer quelqu’un de blessé il faut que je trouve autre chose que ça. Si un d’entre nous était blessé par balle, je ne sais pas s’il s’en sortirait”. Chemin faisant, je lui fais part de mon étonnement: le maquis est dans un trou. Il me dit, je sais, et je cherche un autre endroit pour nous établir. A mon retour, je suis dispensé de travaux durs et je monte la garde. Les autres déboisent les layons qui devront servir à notre retraite si besoin est. Le Lieutenant a doté le Maquis d’un poste de gué dans la partie supérieure du camp mais à quelques centaines de mètres de là il y a une charbonnière qu’un individu exploite (c’est l’époque des gazogènes) et il a avec lui sa fille. Je comprends alors que les volontaires pour la garde en haut où il fait froid en cette fin de février soient nombreux. Vous voyez une paire de fesses et tout bascule! Vallier réagit rapidement et déplace le poste de garde. Le volontariat cesse immédiatement.
Un matin je reviens de la garde à la passerelle, quelqu’un dans l’ombre m’adresse la parole, mais en regardant attentivement le nouveau, je constate que c’est Baudoï. Nous nous embrassons car depuis notre plus jeune âge nous sommes amis. Le lieutenant me demande de venir le voir, j’arrive et il me dit “vous le connaissez bien ? –oui, c’est un chef de trentaine au GAR4 de Draguignan”. Il me dit alors: “Imaginez-vous qu’il a révolutionné tout Fayence en demandant où était le Maquis et le responsable”. Il avait tout simplement oublié le nom et le mot de passe! Les quolibets se sont abattus sur lui durant un bon bout de temps.

A la demande de Vallier, le Colonel Rouy, son fils et son frère Lolo, qui a été tué au débarquement du 15 août, nous avaient trouvé une maison de campagne «Les Louquiers» face à Mons à 1100m d’altitude. Pour venir de Frigouré nous avons utilisé les services des Ponts et Chaussées de Fayence. Au matin un chauffeur petit de taille et costaud nous attend. Comme j’ai encore le bras en bandoulière, il me fait monter dans son véhicule. Je me place de manière à pouvoir tirer s’il le faut. Il me demande ce qu'il m’est arrivé et je lui explique tout. Des années plus tard, au bureau des Ponts et Chaussées à Draguignan, voilà qu’arrive Noël Pelassy, conducteur de travaux nommé à Draguignan. Je le laisse parler, je me lève, et lui montre ma main. C’est le déclic: «c’était toi». Il s’en est suivi une amitié qui s’est perpétuée jusqu’à la retraite.
Le Maquis était encore aux «Louquiers» lorsque le petit Jo (Georges Maranincchi) s’est tué en revenant d’une patrouille. C’était un jeune homme comme nous mais – comment je puis dire – il avait des gestes brusques. On lui a dit “ne tape pas là”. Sur la STEM vous avez le chargeur sur le côté et il ne faut pas taper parce que ça engage les balles et il en a reçu une en plein dans le cœur. Nous l’avons enterré aux Louquiers, là haut et nous lui avons été rendus les honneurs militaires.
Après nous avons été bouleversés.. on n’osait pas se parler ni les uns ni les autres. Être tué en combattant c’est ce qui attend un militaire, mais là.. C’est comme Daumas qui a été blessé par un de chez nous à Collobrières.

DINE:  Le terrain de parachutage était où? Sur Fayence?

TONY:  Au dessus de Fayence, vers Mons, mais ce ne devait pas être le seul.

CLAUDE:  Là où maintenant ils font la cérémonie en décembre?

DINE:  Non, ça c’est au Malay !

TONY:  Je n’en sais rien, il y a longtemps que je n’assiste plus à ces cérémonies.
A propos des parachutages dans la région de Fayence, la rumeur locale laisse entendre qu’il n’y avait pas que des armes, il y avait aussi des enveloppes. Des dépôts d’armes avaient été créés par les responsables locaux. Lorsqu’en juin 1944, nous étions alors à Canjuers, nous avons eu besoin d’armes, Vallier a dépêché quelqu’un du maquis qui est revenu bredouille: toutes les armes avaient disparu. Les renseignements que nous avons eus après le 8 mai 45 laissent entendre que les armes avaient été vendues à la pègre niçoise. Mais si vous interrogez autour de vous, silence absolu. J’ai pu constater qu’il y avait dans les parachutages des boîtes de conserves, des médicaments, parfois de la pénicilline et des enveloppes. C’est ainsi que le 9 août, alors que nous étions provisoirement installés à la ferme des «amandiers» au bord du Verdon, un important parachutage a eu lieu pour toutes les formations combattantes de la région. Il y avait même un dracénois avec une camionnette Grazziani qui a emporté un lot. Il y avait également des enveloppes, ils se murmurait qu’une somme de 300.000F avait été larguée pour régler nos soldes depuis notre arrivée au maquis. Mais lorsque le Lieutenant a voulu donner à Loiseau de quoi aller jusqu’à La Seyne, c’est de sa poche qu’il a sorti 1000F. Il faut croire que l’argent s’évanouissait !

Au mois de Mars, Vallier a eu des renseignements sur ce qu'il se préparait dans la région, en outre, quelqu’un avait signalé que le Maquis était aux Louquiers. Vallier a décidé de prendre les Allemands de vitesse et un matin à 4 heures nous avons quitté le camp avec armes et bagages. Nous avons pris la direction de Broves. J’étais désigné par le Lieutenant comme sentinelle à proximité du village afin de diriger les autres vers la ferme de Paresse.
J’étais là depuis un quart d’heure lorsque j’aperçois un civil que je connaissais bien. C’était l’ancien facteur alors à la retraite et en outre ami de mon père. Je m’avance et lui dis qu’il doit oublier ce qu’il vient de voir et qu’à l’occasion il dise à mon père que tout va bien, mais qu’il ne lui parle pas du lieu de notre rencontre.
Après des heures de marche nous arrivons à proximité de la route de Draguignan à Comps. Nous campons chez un berger-éleveur propriétaire de son troupeau. Pour transporter le tout (nourriture, armes, munitions) nous avions confectionné avec des sacs de pommes de terre vides et des sangles de parachute des bourriches. Mais en marchant au bout d’un certain temps nous avions les épaules sciées, la fatigue était extrême.
Deux jours plus tard, nous arrivons à Margès, dans le Grand Plan de Canjuers; nous nous installons à 1500m d’altitude. Il y a deux bergeries, nous les utilisons toutes les deux en faisant place au berger qui garde ses bêtes et nous renseigne sur les gens que nous pouvons rencontrer: bûcherons, apiculteurs, et les campagnes habitées par les gens du coin. Dès notre installation, le berger de la Perrine dans le plateau vient se mettre à notre service, c’est Victor Teissère, berger le jour, maquisard la nuit; en outre, la famille Malon qui habite la ferme vers la fin du plan en direction d’Aiguines nous renseigne en disposant le linge de la lessive d’une certaine façon si les gens qui se déplacent dans le secteur sont amis ou suspects.
Nous restons là avec le PC installé à la Médecine; il y a une liaison tous les jours avec le camp situé à 1500m d’altitude. Une nuit par un mistral très fort, je suis de garde seul; je vais d’une bergerie à l’autre et je reviens vers le chemin qui monte au camp.
J’entends des appels que je ne peux localiser tant le vent m’assourdit. C’est Picoche qui se met en colère dès que je le rejoins et s’inquiète de savoir où se trouve Vallier. Je lui indique la direction en ajoutant qu’il veuille bien inviter les résistants qui dorment chez eux tous les soirs à nous rejoindre. Nous aurons ainsi une garde plus efficace.
C’est à cette époque qu’on confie au Lieutenant la garde de deux hommes, un policier et un receveur des PTT pétainiste ainsi que deux femmes dont une tentera de s’évader. Elle sera reprise, jugée avec l’autre et elles seront exécutées toutes les deux pour activités au service des Allemands. Il convient de noter que l’Etat Major de la résistance dracénoise nous a refilé la salle besogne.

CLAUDE:  Racontez nous cette histoire de la débandade des nouveaux arrivés

TONY:  Chez nous il y avait les anciens et puis les nouveaux du 65. Un après midi de juillet, je suis avec le groupe 4 de garde au PC de la Médecine. Nous avons pris position avec en plus Bodin et Bertrand6, Bertrand qu’on appelait Bibendum, ça vous avez du l’entendre. C’était Bertrand, de Valbertrand qui est un quartier de Toulon, alors il se faisait appeler des fois en riant, Bertrand de Val Bertrand et il était communiste!
Simon le bouscotier7 et son frère qui faisaient le charbon de bois avaient vu les Allemands qui venaient. Ils les ont d’ailleurs enfermé dans leur pied à terre. Les Allemands étaient venu, ils avaient mis un fusil mitrailleur en batterie, et ils sont montés chez nous. Mais après, comme ça montait tant, ils se sont arrêtés. Vers les 15 heures, c’est la débandade de ceux d’en haut. Tout ça qui descend en courant, tous ceux qui étaient en haut, et alors en haut ils étaient au moins une quarantaine parce qu’à ce moment là on avait reçu des renforts de tous les côtés. “Les Boches attaquent (2 fois)”. Les Boches n’attaquent pas, il n’y a personne. Et ils sont passés à la Médecine et ont filé jusque là où on allait chasser les grives avant: la ferme de la Perrine. Je monte avec un autre camarade, c’est le désastre, tous nos paquetages ont étés ouverts et fouillés par les fuyards, c’est à en vomir. Nous redescendons car des Boches il n’y en a pas, ils se sont arrêtés chez Simon. Nous prenons tout de même des précautions. Le Lieutenant arrive et constate la situation. Il nous dit: “ah! au moins les anciens sont restés là!” et il me dit “essaie de les rattraper”. J’y vais. Je passe à la Citerne, une ferme dans le Plan, et discute avec le berger qui me dit que je ne peux plus les rattraper. Ils sont sur la route de Draguignan vers Vérignon et ils marchent d’un bon pas. Je rentre de nuit à la Médecine. Je m’arrête à la ferme des Pouillets, le propriétaire sort, me donne 2 œufs et la moitié d’un fromage en me demandant de m’éloigner de chez lui car il a deux enfants en bas âge et son épouse. Je le remercie et je continue vers la Médecine. Il y a la pleine lune et c’est facile de s’orienter. Je mange tout ce que j’ai eu et me couche dans un «cade» creux comme les bergers. Au petit matin je rentre à la Médecine, arrivent également Baudoï et Bibendum qui se sont planqués dans les «cades» avec tout de même 1kg de sucre en morceaux et une bonbonne de vin… Il faut ce qu’il faut.

DINE:  C’est là que vous décrochez?

TONY:  Oui. Le Lieutenant alerte Draguignan et envisage de transférer le Maquis plus loin sur les bords du Verdon vers Quinson. Entre temps il y a eu des cérémonies aux Salles et à Aiguines devant les monuments aux morts. À Quinson, nous avons l’aide des gardiens du barrage mais un petit malin, étranger à notre maquis, fait exploser une faible charge sur le pont qui franchit le Verdon. Le lendemain, tous les officiers allemands sont sur place. La surveillance aérienne n’arrête pas de toute la journée. Nous sommes cloués au sol et ne bougeons pas.

DINE:  Et Pierre Lietard (Yo) où est-ce qu’il a été blessé?

TONY:  À Aups, dans la traversée d’Aups. Dominique et Chaudé ont été tués sur la place (Chaudé de Cannes). Il y a la plaque là bas. Les corps de Dominique et Chaudé ont été nettoyés et arrangés par les sœurs.

CLAUDE:  Sur le journal, mon père il dit que Yo a été ramené le lendemain pas les FTP

TONY:  Oui, parce que là, il y avait le groupe de FTP organisé à Aups.

DINE:  Et Aiguier où est-ce qu’il a été blessé?

TONY:  à Aups. Oui, il a pris une balle juste sur la tête.. Déjà qu’il était un peu dérangé de nature... C’était le même jour. Seulement on ne savait pas qu’il avait été blessé. Lui il était parti à fond de train dans les vieilles rues d’Aups et il s’est retrouvé en haut du village. Alors il s’est planqué et il n’est sorti que quand la bagarre a été finie.

CLAUDE:  Ça, c’est une vraie carte d’identité?

TONY:  Oui.. voyez on ne mettait pas la photo. Matricule 1274. C’est ce dont je me suis souvenu tout le temps. Ça c’était ce qu’ils nous payaient. La France avait les épaules larges. Solde de guerre 300 francs, majoration de solde parce qu’on était en première ligne tout le temps, alors on touchait 1020F au total à compter de la fin du maquis.

CLAUDE:  C’était l’année d’après.

TONY:  Ça c’est mon engagement. Tenez, il l’ont fait partir le 6 septembre. On n’avait rien. Si on avait eu un papier, comme quoi on était au maquis Vallier. Il n’y avait rien. C’était le 6 septembre. Il y a deux types qui m’ont servi de témoin: Bataillon d’Infanterie de Marine et du Pacifique8.
Et là, votre père s’est attrapé avec Picoche en lui disant:
“ – comment, mais on est resté 6 mois et tu n’as pas demandé la reconnaissance de cette unité?
– ah! mais ça va être fait.”
Ça a été fait mais après coup, et ceux qui ont été blessés, ce sont les Américains qui les ont soignés, ce n’est pas nous: Daumas, Raoul Ugolini et le corse «Frère». On l’appelait Frère parce qu’il parlait toujours du Bon Dieu. On lui a dit “toi, tu es dans les ordres, alors puisque tu es bien collègue avec lui, dis lui qu’il nous protège”. Après (en 1951) j’ai eu le certificat d’appartenance du 14 février 44 au 22 août 44. Il s’appelait CFL du Var. Corps Franc de Libération du Var - Maquis Vallier.

CLAUDE:  Pouvez vous me dire la différence entre CFL et AS (Armée Secrète)

TONY:  On était chaperonné par l’armée secrète, mais l’armée secrète c’était aussi d’autres gens.

CLAUDE:  Et pourquoi vous n’étiez pas armée secrète tout en l’étant sans l’être? C’est quelque chose que je n’ai jamais compris.

TONY:  Moi non plus

CLAUDE:  Je n’ai jamais demandé à mon père. Vous étiez groupe de combat.

TONY:  Voilà, groupe de combat et puis c’est tout.

CLAUDE:  Parce qu’à un moment, dans le journal, mon père parle de l’armée secrète comme si c’étaient des étrangers alors que...

TONY:  Alors que c’étaient les patrons. Les corps francs vivaient en autonomie. Ils avaient leur armement et poursuivaient le but qui leur avait été fixé.
Georges Attanassian était venu en France en 1915 et son père qui avait été fait français immédiatement parce qu’il avait servi la France en 14-18 lui a dit “tu n’oublieras jamais ce qu’on doit à la France”

DINE:  Il est mort à Hyères, il y a 3 ou 4 ans.

TONY:  Après Quinson, nous émigrons dans les bois de Malassoque. C’est plus sûr et la vie est plus calme au camp.
Avec Lucien Teissère de Saint-Jacques de Grasse, un des premiers arrivés au Maquis fin janvier 1944, nous remarquons que le cheptel de lapins sauvages est important; les collets ou lacets, ces pièges communs dans les campagnes sont mis en place et tous les jours il y a des invités que nous faisons rôtir le ventre plein d’aromates sur un feu de camp. N’a droit à goûter le rôti que celui qui aide à faire le feu et surveille la cuisson.

Pendant le temps du maquis à Canjuers, nous avons reçu le renfort des gendarmes d’Aups et des brigades environnantes et même de Draguignan. Nous avons eu la visite du Colonel commandant la gendarmerie que nous avons intercepté ainsi que son chauffeur; le Lieutenant l’a identifié; c’est un homme qui nous renseigne utilement et nous fournit des hommes bien entraînés: Chef de Brigade Vidal, Bouet, Duchatel qui sera exécuté par la milice à Aups avec Millet, Chef de brigade Florentin qui m’avait arrêté en juillet 1941 à Claviers pour activité antinationale. Il rejoint notre groupe. Nous avions accueilli dans notre Maquis un dracénois de plus de 80 ans, Marius Honorat, cultivateur qui abritait dans sa campagne un officier radio de la marine en liaison permanente avec les alliés. Dénoncés par un milicien dracénois voisin de Marius, ils avaient fui, le radio a été pourchassé par la Gestapo et Honorat avait trouvé refuge chez nous. Il était toujours volontaire pour toutes les missions; nous ne voulions pas le vexer. Un jour il part avec nous dans la région de Varages; le gazogène tombe en panne et un gars du coin demande à deux individus qui étaient là de pousser le véhicule; nous pouvons repartir et quand nous sommes assez loin, le gars nous dit, «vous avez vu, ce sont deux miliciens de la région qui nous ont aidés». Ce type là avait un sacré culot.

Depuis le 9 août nous savons que le débarquement aura lieu le 15 entre Croix-Valmer et Cavalaire; le Lieutenant décide de se rapprocher de la côte et nous partons en faisant des étapes vers Bras puis Flassans et nous traversons la Route Nationale 97 là où la SNCF passe en aérien au dessus de la route avant Gonfaron. De là, nous nous dirigeons vers les Mayons, mais quelqu’un nous repère et nous montons vers le col des Fourches. Nous sommes fatigués à la limite de l’épuisement; nous trouvons au sommet du col une cantine mais certains ne peuvent plus se traîner; enfin avec patience nous arrivons à réunir le gros de la troupe. Nous mangeons et dormons sur place.
Le lendemain, reconnaissance de notre nouveau camp. Nous récupérons des soldats italiens prisonniers des Allemands qui se sont échappés pour rejoindre leurs familles en Italie. Après bien des discussions ils nous situent sur la carte les zones minées dans les environs de la Côte. Le Lieutenant les libère.

Un raid sur Collobrières se prépare: le groupe 2 occupera le village et le groupe 4 la route qui arrive de la direction du Golfe de Saint Tropez. Le groupe 2 ne fait pas de détail et neutralise rapidement les Allemands présents qui sont enfermés dans un local proche de la mairie. Le groupe 4 avec Alain le FM en tête, Max, Roger et Claude en renfort s’installe au dessus de la route au carrefour d’où on domine un vallon.
Visite éclair des résistants de Toulon-Hyères et départ en trombe avec une Citroën 15 chevaux. Un certain temps s’écoule et un groupe blindé se rapproche; Max le guetteur doit nous faire signe. Dès que son béret s’agite Alain se poste au dessus de chemin et quand le premier char passe il lui lance la bombe de plastique; le char est atteint et s’arrête à 7 ou 8m de nous, le FM, les mitraillettes entrent dans la danse, j’expédie des grenades aux arrivants. Pendant tout le temps de la bagarre, les armes et celles de nos adversaires n’arrêtent pas.
Tout à coup on entend une voix qui dit “ce sont les Américains”. Alain me confie le FM et part avec seulement son pistolet: au bout d’un temps interminable Alain revient; ce sont bien les «Amerlocs». Ils ont 7 blessés et nous deux, Raoul Ugolini, dit Bébert, et Jean Luchetti, dit «Frère». Tous les blessés sont acheminés vers l’Afrique du Nord par le service «santé» des USA.
Nous avons attaqué par erreur les Américains les premiers parce qu’ils s’étaient trompé de route. Ils devaient aller au Luc. Ils sont venus vers Collobrières. Et nous, on avait tendu le piège à l’embranchement de Collobrières et de Notre Dame des Anges. Et bien sûr, dès qu’on les a vus on a commencé à tirer. On n’a pas attendu qu’ils nous tirent dessus. Nous prenons contact avec les soldats US et leur colonel; celui-ci confie à un interprète: “ces français sont fous, attaquer un groupe de 7 chars à une trentaine environ, il faut le faire”. Il nous invite pour le lendemain à la prise d’un camp allemand situé sur le plateau Lambert9 au dessus de Collobrières.
Le Colonel US nous propose de signer un engagement dans l'armée US aux conditions suivantes: solde 5000 francs par mois, + pécule + naturalisation immédiate USA. C'est rentable mais il y a la France avec tout ce que nous avons fait pour elle jusqu'ici.
A signaler l'accident qui est arrivé à Auguste Daumas, blessé accidentellement par un du maquis, manipulant son arme.

A 7 heures du matin en colonne par un, Américains et Maquisards (des FTP sont avec nous) grimpent jusqu’au camp en question. A l’arrivée nous sectionnons les barbelés et nous nous préparons à agir. Il faut attendre l’accord du colonel US; je râle car l’effet de surprise est fichu et exprime mon mécontentement en provençal. Un GI me répond en occitan (c’est un jeune originaire du sud-ouest qui s’est installé aux USA): “c’est toujours comme ça tant que le mouchard qui nous survole depuis notre arrivée n’aura pas donné son accord!” C’est le deuxième, il ne se passe rien. Vers les 11 heures, en avant, nous envahissons le camp qui est vide. Les Allemands se sont débinés durant la nuit. C’est alors le pillage des installations par les gens du coin aidés par des types de chez nous. Les maquisards sont rassemblés et nous descendons vers Collobrières. Les «Amerlocs» qui sont restés aux abords du village nous adressent quelques obus de mortier. Ceux qui sont avec nous leur demandent de cesser le feu; c’est aussitôt chose faite.
Le colonel US et Vallier décident d’exploiter notre percée vers Pierrefeu et La Crau. Dans l’après midi nous sommes en contact avec les Allemands qui tiennent le carrefour de Sauvebonne donnant accès à La Crau; la bataille fait rage. Nous progressons dans les vignes fraîchement labourées. Heureusement car les armes automatiques des Allemands nous maintiennent cloués au sol. J’ai à coté de moi Baudoï qui creuse la terre meuble avec le menton et me dit: “j’espère qu’on va s’en sortir car il fera bientôt nuit”. Maintenant, l’artillerie allemande nous prend comme cible; ce sont les pièces des forts du Coudon et du Mont Faron. Lorsque le vacarme diminue, nous cherchons les «Amerlocs». Ils sont retournés sur leurs pas car le Colonel s’est aperçu qu’il avait pour mission de se rendre au Luc. Il avait comme axe Est-Nord-ouest et il est descendu Est-sud-ouest. Tout d'un coup il a du bien lire ses ordres de mission, sans rien dire il rassemble ses chars et fout le camp et nous on reste une trentaine de pouilleux devant l’armée allemande qui était à l’abri des forts de Toulon dont l’artillerie nous a «gangacés». On était allongé - Baudoï me le disait encore quand il était vivant - “tu te rappelles qu’ils nous coupaient les feuilles de vigne sur la tête”. Elles venaient mourir sur nous et on était là à creuser la terre des vignes qui étaient nouvelles quand même.
La nuit n’est pas loin quand deux bataillons de la France Libre arrivent, BM11 et je crois BM510. Ils repoussent les Allemands jusqu’aux Martins sur la route de la Crau. Deux lieutenants prennent contact avec nous. Nous leur proposons notre aide mais ils refusent. Le lieutenant du BM11, du nom de Simon, nous dit: “ je ne veux pas vous voir en infanterie devant nous (pour porter des mortiers et des mitrailleuses lourdes à installer), vous n’avez aucun statut. Si les Allemands vous prennent, ils vous fusillent parce que vous êtes des francs tireurs. Alors vous restez en arrière.”
Et ce pauvre type est mort dans la nuit. Il a été tué par une défense allemande. Ses hommes le ramènent. Nous sommes tristes car il était très ouvert et enthousiaste. Un des nôtres, Charles, dit de Gaulle, s’engage illico au BM11; nous le reverrons à l’attaque de l’Authion en Avril 45.

Le groupe 3 qui opère au delà du domaine du Viet est pris à partie par l’artillerie allemande: ils ont des pertes: Ernest, Gaston Cogordan et le Commandant qui avait mis en doute les capacités de Vallier avant notre arrivée dans la région hyéroise. Nous avions procédé à un vote de tous les présents: Vallier avait été confirmé dans son rôle de chef par une majorité écrasante, point final.
Un incident survenu au domaine du Viet mérite d’être signalé. Nous avions la cantine dans cette propriété et “Fleur de lotus” nous mijotait une nourriture saine. Il aperçoit un Allemand qui venait vers le bâtiment où il se trouvait: il sort à sa rencontre armé d’un fusil, épaule et tire blessant mortellement l’Allemand; avant de mourir celui-ci murmure qu’il venait se rendre! Fleur de Lotus a été si peiné qu’il n’a pas pu reprendre son aplomb. J’ai appris plus tard qu’il était mort de chagrin.

Nous recevons l’ordre de rejoindre Hyères en longeant le Gapeau; il y a des cadavres partout et avec la chaleur l’air est pestilentiel. Nous arrivons à Hyères vers le soir et Vallier nous dirige vers l’aérodrome. Nous établissons un barrage filtrant. Vers minuit, je suis de garde dans le fossé avec les moustiques qui n’arrêtent pas de nous piquer. Deux ombres s’avancent; nous nous montrons et capturons les deux types: “nous sommes alsaciens” disent-ils! Nous les amenons au lieutenant qui les interroge. Nous les gardons avec nous et dès le lever du jour Vallier en renvoie un avec une invitation à se rendre sans combattre.
Vers 8 heures nous sommes au droit du champ de course d’Hyères et nous attendons; au loin sur la route de Giens-La Tour Fondue une troupe ordonnée s’avance. J’ai le FM pointé vers les arrivants mais les chefs demandent à voir Vallier; après quelques minutes de conversation ils se rendent. Ils sont 154 et nous nous trouvons en infériorité; heureusement pour nous ce sont des artilleurs de la Marine allemande; ils n’ont pas l’idée de nous attaquer. La longue file des prisonniers est emmenée à Hyères à la caserne de la ville pour les formalités; ce sont les éléments de la 1ère Armée française qui prennent les choses en main, non sans nous avoir sermonnés sur notre façon de faire. Il ne fait pas bon être soldat de l’ombre à cet instant.

Nous nous rapprochons de la Résistance hyéroise et prenons un repos bien gagné. Les éléments de la France Libre nous font savoir que si nous voulons les rejoindre, ils nous incorporeront volontiers dans les bataillons présents à Hyères et dans la région. Nous prenons quelques jours de détente et apprenons que le Maquis est dissous à la date du 28 août 1944.
Nous sommes tous sans un sou et ne possédons que des habits que nous portons depuis pas mal de temps. Je pars pour Draguignan embrasser mon père et ma famille et d’autres à Toulon, La Seyne, etc… Alain et les Marseillais sont déjà partis vers le vieux port.
Le 31 août j’arrive à Carqueiranne d’où les éléments de la 1ère DFL se préparent à partir; je grimpe sur un camion. L’aventure avec le Maquis est terminée; une nouvelle commence avec la 1ère DFL. Nous nous retrouvons nombreux dans les rangs du Bataillon d’Infanterie de Marine et du Pacifique, jusqu’à la fin de décembre 1945. J’ai été démobilisé le 1er janvier 1946.



Tony Mariani, ancien soldat de l’ombre, matricule 1274 à la 1ère DFL. - 10 août 2006

1 - Roger Leroux
2 - Les réfractaires sont conduits à Figanières avant de monter au maquis pour être contrôlés : convoyés jusqu’à un cabanon isolé, ils sont "vérifiés" (il faut connaître le mot de passe : « Le Cardinal ? - Il est rouge ») et mis à l’épreuve, avant d’être conduits à Aups.
3 - Explosif provenant de parachutage (du plastic dans une enveloppe souple et un détonateur).
4 - GAR : groupe de résistance dracénois créé par des lycéens et rattaché à l’AS. Dès février rejoignent le maquis Vallier Louis Casanova Casabianca, chef du GAR, âgé de 19 ans, Léocard et édouard Terzian, les deux chefs adjoints du GAR âgés de 19 et 18 ans, Leccia qui est un wattman toulonnais, assez âgé (39 ans), communiste. Il est l’un des adjoints de Vallier et rejoindra les FTP en juillet 1944. Le GAR prend le maquis lors de la mobilisation de juin 1944 (entre Draguignan et Figanières). Neuf de ses hommes rejoignent le maquis Vallier par la suite dont Casanova frère, Gaston Cogordan, Auguste Daumas, Lucien Prisot
5 - 6 juin (débarquement en Normandie)
6 - Edmond Bertrand, ouvrier de l’arsenal, réfractaire au STO, qui a rejoint Vallier le 28 février 1944 et qui passera chez les FTP en juillet
7 - bûcheron en provençal
8 - Le BIMP, autre élément de la 1e DFL, commandé par le capitaine Magendie, qui va s’illustrer dans la bataille de Hyères
9 - Il y avait surtout sur le plateau de Lambert une station radar importante, participant à la défense de Toulon. Vallier est chargé par les Américains de nettoyer le plateau.
10 - Bataillons de marche n°11 et n°5, éléments de la 1e DFL (2e Brigade du colonel Garbay).

Notes de Jean Marie Guillon


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