retour au journal du maquis

Récit de Dine Le Roux


Roger (Le Roux) est parti au maquis parce qu’avec ses 19 ans il fallait qu’il parte au travail obligatoire et ça il ne voulait pas en entendre parler.

Il avait été visité deux ou trois fois par les Allemands. Comme il venait d’avoir la typhoïde, il a eu la chance de tirer quelques mois, mais après il fallait qu’il parte et il ne voulait pas partir. “Je n’aurais pas pu travailler sous leurs ordres” disait-il “couper les arbres dans les jardins français, dans les parcs de la côte comme ils faisaient tous”. Il ne voulait pas personnellement obéir au vainqueur et il ne voulait surtout pas travailler sous leurs ordres et pour eux. C’est pour cela qu’il est parti.

Ce n’était pas pour se camoufler ou s’éviter des ennuis avec l’occupant. Il n’était pas plus embêté qu’un autre à ce moment là, mais il savait que le travail obligatoire était là et qu’il fallait qu’il parte. Son but était de faire fuir les allemands. Il était quand même fils de militaire. Son père avait fait l’école navale. Il était mort à 30 ou 40 ans d’un accident en mer dans la flotte de Toulon. Quand il était arrivé à l’hôpital la gangrène avait fait son travail, à ce moment là Roger n’avait pas 6 ans. Pour chasser l’envahisseur, Roger avait décidé de s’engager et de partir en Afrique du Nord. Mais au moment voulu cela n’a plus été possible, alors il a cherché et vu ici à Draguignan deux personnes qui lui ont dit: “le plus simple c’est de rejoindre Aups et de là le maquis.”

La veille du départ sa grand-mère avait dit: “ je vais te faire quelque chose que tu mettras en haut du clocher. Roger a dit oui, oui, oui. Elle a fait un drapeau et il est monté le mettre. Dans la nuit, il est monté au clocher qui fait 20 mètres. Il y avait deux autres résistants, Marcel Meiffret et Louis Casanova qui l’ont aidé à monter. Il a mis le drapeau. Les allemands sont passé dessous. Marcel et Casanova se sont planqués. Ils ont sifflé. Roger a sauté les 20 mètres et ils se sont cavalés. Les Allemands ne se sont aperçus de rien.

Au début de la matinée, vers les 9 heures, les passants regardaient le clocher. Les allemands qui faisaient la ronde ont regardé aussi et ont vu le drapeau sur la tour de l’horloge. Alors là ça a été dare-dare. Ils ont barricadé. Ils ont arrêté 4 ou 5 personnes qu’ils ont questionnées. Rassemblement de tout le quartier. Les Allemands sont montés avec une échelle pour enlever le drapeau. Il était plus de 9 heures du matin. Roger est parti le lendemain au maquis.

Le matin du 2 février, rendez-vous à l’endroit convenu. Il y avait Marcel et Yvonne qui l’ont accompagné et Marcel l’a pris en photo le matin même où il est parti. La voiture y était. Ils devaient être quatre ou cinq et sur les cinq ils se sont retrouvés deux: Tony Mariani et Roger. Ils les ont amenés jusque vers Aups mais pas tout à fait dans Aups. On leur a dit c’est par là, allez. Mais là, bien entendu, personne ne savait grand chose.

Ils étaient nombreux. Les uns allaient, les autres venaient. Ils sont restés quelques jours dans une maison, puis on les a emmenés dans une autre. Roger ne se décourageait pas facilement: “On va bien voir ce qu’ils vont faire de nous.” Une fois on les interrogeait sur la famille, une fois sur autre chose et Mariani commençait à dire “moi, je veux partir” et Roger lui disait toujours “mais non, ne pars pas; ça viendra, on trouvera le maquis.” Puis un beau matin, on leur a dit “ça y est, il y a un maquis en formation.” C’était le maquis de Mons.

C’est le 22 février qu’ils sont arrivés à Mons. lls sont arrivés à peu près à 2 km du village. Lorsque la voiture s’est arrêtée, il y avait un petit pont. On leur a dit “c’est la maison blanche là bas.” Ils ont suivi le petit cours d’eau qui était là, la Siagnole. Ils se sont avancés vers la maison blanche en question. C’est une grande maison haute comme on faisait autrefois. Ils ont trouvé un jeune officier, plus âgé qu’eux qui les attendait. Il leur a dit “vous êtes les deux que j’attends de Draguignan.” Leur vie de maquisard a commencé là.

Claude Ravaisse, lui, a eu une vie encore plus extraordinaire que tous les autres. Il était de Corbeil. Je crois que c’est dans l’Essonne. Son père était notaire. Son frère qui avait deux ans de plus que lui a réussi à partir en Angleterre. Mais Claude qui avait 19 ans comme Roger n’a pas pu partir. Un jour il dit à son père “moi, je ne veux pas plus que mon frère vivre avec les envahisseurs. Je veux faire quelque chose, je veux partir. Son père lui a dit “si tu veux avoir une chance c’est dans le midi. Il faut que tu descendes. Il n’y a que là bas que tu pourras essayer.”

Il a ramassé ses affaires. Son père lui a donné un peu d’argent et lui a dit “file directement sur Saint-Raphaël ou dans la région parce que c’est là que tout se passera un jour. S’il y a quelque chose, ça viendra de là.” C’est ce qu’il a fait. Il est arrivé à Saint-Raphaël en janvier et a cherché du boulot. Il a trouvé de petites choses à faire sur le quai. Il a loué un studio qu’il a trouvé et a vécu avec l’argent qu’il avait. Et puis février est arrivé. Il n’avait plus beaucoup de sous et s’est dit “il faut à tout prix que je trouve le moyen de contacter un lieu de résistance.

Quelqu’un lui a dit “allez à Fréjus au presbytère, vous trouverez.” Alors il est allé à Fréjus, 2 ou 3 jours de suite à la messe le matin. Il a vu que le curé était toujours en confession avant la messe. Un matin il a fait pareil, il est allé en confesse. Il a dit au curé voilà ce que je cherche. Le curé lui a dit tout de suite qu’il ne pouvait pas s’en occuper. Deux jours après il est retourné en confesse. Le curé lui a dit “on ne peut croire personne. Il y en a tellement. Est-ce que c’est vrai ou pas vrai? Est-ce qu’ils sont sincères ou pas sincères? Comment voulez-vous que je fasse avec eux?”

Alors il lui a dit “si vous voulez me mettre à l’épreuve vous verrez,” et ils ont discuté. Le curé lui a dit “donnez-moi verbalement toutes les informations sur vous. Qu’est-ce que vous cherchez? Alors il lui a dit “eh bien voilà je vous dis tout sur ma famille. Mon frère est parti en Angleterre. Moi je n’ai pas pu mais je suis venu ici.” Il lui a dit “écoute, moi je ne connais personne, mais je vais essayer. Je vais voir si quelqu'un veux bien s’occuper de toi.” Et en fait personne ne s’est occupé de lui à part le curé.

Un jour, il lui a donné rendez-vous au bord de la route. Il était en chasseur. Il a bien regardé “c’est le curé? c’est pas le curé?” En s’approchant, il a bien reconnu le curé qui était en chasseur et qui avait une voiture planquée quelque part. Il lui a indiqué l’endroit, le petit pont, la rivière, la maison blanche. “C’est là bas”. Il est arrivé les premiers jours de mars.

Yo est arrivé peu après au maquis, sans doute en avril. Yo et Claude Ravaisse avaient déjà 20 ans. Roger a eu 20 ans le 8 avril. Il a été le seul à avoir 20 ans au maquis. M. Gleb est parti à une ferme. On lui a donné 3 œufs. Il a fait les 3 œufs au plat et les a portés à Roger en lui souhaitant un bon anniversaire. Roger en a mangé 2. Ils ont partagé le troisième en 5 ou 6. Ils les ont mangés avec une pomme de terre bouillie parce qu’ils n’avaient pas de pain.

Roger m’a raconté qu’un après-midi ils étaient aux Margès. C’était je pense fin juin parce qu’ils étaient beaucoup recherchés à cette époque là, début juillet aussi. La route passait à quelques buissons d’eux. Ils étaient 48 camouflés dans les buissons, arme prête à tirer. Ils savaient que les allemands les recherchaient. Roger s’est avancé. Il est allé au bord de la restanque, M. Gleb était derrière. Quand Roger a été devant presqu’au bord, une rafale de mitraillette lui est passée entre les jambes et a contourné M. Gleb. Les autres se sont précipités sur leurs armes. M. Gleb les a retenus. Il s’est avancé vers Roger et a demandé
“ – ça va?
– oui
– je sais que vous n’êtes pas touché, de la façon dont vous êtes tombé, j’ai compris que vous aviez entendu partir la rafale.”

Roger entendait très bien. Le fusil c’était son arme. Quand ils ont appuyé sur la gâchette de la mitraillette, il a entendu partir les balles. C’est pour cela qu’il s’est balancé par terre. Et M. Gleb l’a vu. La rafale est passée sans les toucher. S’ils avaient tiré, ils seraient tous morts parce que le camion était chargé et il y en avait un autre plus bas qu’ils ont vu après. M. Gleb a tenu tout son monde d’un signe de la main et personne n’a bougé. Il n’y a pas eu de riposte. Les allemands sont partis.

C’est pour cela que nous avons appelé notre maison les Margès. Roger a dit “j’ai eu la vie sauve là haut, autant le mettre comme nom. Si je n’avais pas entendu la rafale j’étais cuit parce que je restais debout.” Ils étaient contents, M. Gleb d’avoir maîtrisé la situation et Roger de s’être balancé par terre.

En août, ils sont partis de là haut avec une tomate dans la poche et ils sont arrivés à la côte toujours avec la tomate dans la poche. Ils n’avaient pas pu manger parce que, à Collobrières, ils ne se sont pas arrêtés. Ils se sont battus d’une rue à l’autre et la tomate était toujours dans la poche. Ils étaient tellement dans le feu de l’action; ils n’y pensaient pas.

A Collobrières ils s’en sont vu avec les allemands derrière les portes, dans les couloirs. Les gens disaient tous qu’ils ne voyaient personne, qu’ils ne savaient pas s’il y avait quelqu’un. Les autres étaient dedans. Ils essayaient de dégager, de faire sortir les gens. Ils n’ont pas été aidés. Les gens ne voulaient pas sortir.

Quand ils sont arrivés aux quatre chemins à l’embranchement de Sauvebonne, il y en a un qui s’est fait tuer. En tombant il a fait partir un coup de fusil et un des allemands qui était en face dans les vignes à quelques mètres derrière lui l’a tué. Ils ont tiré et ils sont partis.

Puis les Allemands sont partis. Les avions alliés sont venu faire une reconnaissance. Ils ont vu les avions et il n’y a plus eu personne. Ils sont partis dans les mines. Ils se sont tous mis en civil comme ils ont fait à Brignoles. On n’a plus reconnu personne. 22 000 Allemands qu’on n’a pratiquement pas retrouvés. Mais des civils, il y en avait beaucoup dans les bois. Ils ont sauvé leur peau. Ils ont du faire pareil partout.

Après avoir libéré Giens, ils sont allés à la Mairie de Hyères, puis au Grand Hôtel. En arrivant là, ils ont trouvé les jolies têtes noires: c’est la DFL qui arrivait. M. Gleb est parti on ne sait où. Roger et Claude Ravaisse se sont trouvés avec les Américains qui arrivaient de tous les cotés. Il y avait l’infanterie de marine. Ils ont dit “eh bien on veut partir avec vous.” Ils sont partis habillés comme ils étaient. On leur a donné une mitraillette et un brassard et c’est tout. Tous les deux ont dit on va bien voir.

Ça a duré trois jours. Ils sont restés à Hyères avec l’infanterie de marine. C’est M. Gleb, quand il est arrivé presque à Lyon, qui a demandé ses deux protégés au corps des engagés volontaires. Quelques heures après les Américains leur ont dit “prenez vos affaires; votre officier vous cherche; il faut aller le rejoindre”, et ils sont partis le rejoindre. Ils sont allés jusqu’à Lyon retrouver M. Gleb qui était dans l’artillerie. De là, ils ont fait la guerre ensemble. Roger était premier canonnier. Claude Ravaisse était secrétaire. Ils étaient onze dans la Section Optique et Mécanique (SOM). C’est M. Gleb qui commandait. Il réglait les tirs, réglage tout à la main et au chiffre. C’est Roger qui tirait le premier coup. Roger et M. Gleb ne se sont pas quittés pendant deux ans. Ils voulaient poursuivre et libérer la France jusqu’au bout.


Dine était pensionnaire au préventorium de Porquerolles. Elle connaissait mes parents depuis plusieurs années quand les Allemands ont fait évacuer l'île en novembre 1943. En 1946 l'aérium Les Ribambelles, à Hyères, a pris la suite du préventorium de Porquerolles. Dine et Roger, qui ne se connaissaient pas, sont venus y travailler. Mon père était "le lieutenant" pour Roger et "monsieur Gleb" pour Dine. Après un certain nombre d'années il était devenu "Gleb" pour Roger mais Dine, comme tous les anciens de Porquerolles a continué à l'appeler Monsieur Gleb.

C.S.

retour au journal